8. LE DÉVELOPPEMENT LANGAGIER
« Le langage est une faculté qui permet à l’humain de concevoir et d’acquérir des systèmes de communication élaborés appelés “langues” […]». Communiquer avec un langage abstrait et symbolique, c’est-à-dire un langage qui permet de parler d’événements passés et d’évoquer des choses ou des personnes absentes, est un comportement propre à l’espèce humaine.
Sans enseignement particulier, mais en interaction avec les autres, les jeunes enfants de tous les pays du monde acquièrent leur langue maternelle, la langue parlée dans leur famille. À l’âge de 5 ans environ li, et bien que ses capacités expressives et son vocabulaire soient moins élaborés que ceux de l’adulte, le jeune enfant maîtrise déjà les structures de sa langue maternelle, qu’elle soit orale ou signée. « Sauf dans le cas de déficience grave, tous les humains sont dotés de la faculté de langage. »
La langue n’est pas seulement un moyen de communication. Elle constitue également « un instrument d’identification sociale, et, à ce titre, elle transmet bien davantage que le contenu des propos. Dès que quelqu’un prend la parole, la façon même dont il s’exprime fournit des renseignements sur son sexe, son âge approximatif, son lieu d’origine et sa classe sociale. » La langue maternelle de l’enfant contribue grandement à forger son identité sociale.
Chacune des milliers de langues parlées sur terre est basée sur un système complexe de règles qui permettent de combiner des sons pour faire des mots, des mots pour composer des phrases et des phrases pour construire des récits. Il est donc possible, à partir d’un ensemble limité de mots, de composer un nombre infini de phrases pour exprimer un nombre infini d’idées.
L’apprentissage du langage est d’une grande complexité. « […], l’enfant doit percevoir les sons entendus, dégager le sens du mot formé par les sons à partir du contexte, produire ces mêmes sons et emmagasiner toutes ces informations dans sa mémoire». Les habiletés cognitives sont ainsi beaucoup sollicitées lorsque l’enfant apprend à parler.
Cette section sur le développement langagier aborde l’évolution du langage pré linguistique, c’est-à-dire les sons et les gestes avec lesquels les bébés s’expriment d’abord, l’apprentissage du langage oral ainsi que l’éveil à la lecture et à l’écriture. Il est important de considérer que « les premières habiletés en lecture et écriture évoluent parallèlement aux habiletés langagières». Le développement graphique, c’est-à-dire l’évolution du dessin chez l’enfant, est aussi intégrée à cette section en raison de sa valeur expressive et de sa pertinence pour préparer le jeune enfant à l’écriture.
Le langage, qu’il soit oral ou écrit, comporte toujours deux volets : le langage réceptif, c’est-à-dire le langage entendu ou lu et compris par la personne, et le langage expressif, le langage qu’elle produit par la parole ou l’écriture.
1 Le langage pré-linguistique
2 Le langage oral
3 L’éveil à la lecture et à l’écriture
4 Le développement graphique
5 Les fonctions exécutives, la créativité et le développement langagier
6 Les influences du développement langagier sur les autres domaines
- Le langage pré-linguistique
Avant de pouvoir parler, le jeune enfant se sert de sa voix, de ses expressions faciales et de ses gestes pour communiquer avec les membres de son entourage. Ces actions constituent un langage en soi, un langage pré linguistique.
La distinction des sons de la langue maternelle
Au cours de sa semaine de vie intra-utérine, le fœtus a déjà commencé à réagir à la voix de sa mère ainsi qu’à différents stimuli comme les battements de son cœur et ses mouvements. Le bébé s’entraîne d’abord à discriminer la parole des autres sons qu’il entend et il en viendrait à préférer cette voix ainsi que sa langue maternelle à toutes celles qu’il est susceptible d’entendre. Il repérerait d’ailleurs sa langue maternelle à partir du rythme, de la mélodie, des intonations, etc. qui lui sont propres. L’oreille serait ainsi préparée à distinguer les phonèmes de base de sa langue maternelle, soit les plus petites unités de son représentées par des lettres (o, l, r) ou des groupes de lettres (ch, oi, gn, etc.). « Bien avant de pouvoir relier des sons à leurs significations, l’enfant est capable de reconnaître les sons fréquemment entendus, comme son nom. »
La production de sons
Les pleurs du nouveau-né, son premier et seul moyen de communication, se différencient graduellement à partir de sa naissance. Ils alertent les adultes qui prennent soin de lui et qui apprennent de leur côté à distinguer s’ils signalent sa faim, sa fatigue, sa douleur ou sa colère. Bientôt, le poupon rit et gazouille, exprimant son contentement par des sons indifférenciés émis au hasard. Puis, comprenant que les sons, les sourires et les rires qu’il ou elle émet suscitent une réponse, l’enfant apprend à « converser », imitant de mieux en mieux les sons produits par son partenaire.
Le babillage, constitué par la répétition d’un son composé d’une consonne et d’une voyelle (« mamama », « dadada », etc.), se rapproche graduellement des mots et conduit le jeune enfant à prononcer ses premières paroles. Il permettrait de s’exercer à prononcer les différents sons de la langue.
La capacité du jeune enfant à communiquer intentionnellement est manifeste lorsqu’il ou elle adopte le tour de parole qui l’amène à alterner entre la production de sons et l’écoute de son partenaire. Dans ces circonstances, il regarde intensément et silencieusement la personne qui lui adresse la parole, pour émettre à son tour une série de sons aussitôt qu’elle se tait.
La communication gestuelle
Dans le but de communiquer, les poupons se servent aussi des gestes, comme lever les bras pour se faire porter, pointer un objet pour l’obtenir ou porter son regard au même endroit que son interlocuteur dans le contexte de l’attention conjointe. Ils adoptent également quelques gestes sociaux conventionnels comme « agiter les mains pour exprimer un “au revoir”, hocher la tête pour dire “oui” ou secouer la tête pour dire “non”, taper dans leurs mains pour manifester leur joie, etc.»
Les gestes symboliques, comme souffler pour dire que c’est chaud, apparaissent souvent en même temps que les premiers mots et ils fonctionnent d’ailleurs comme eux. Ces gestes montrent qu’avant de pouvoir parler, l’enfant comprend que les objets et les concepts ont des noms et qu’il peut utiliser des symboles pour désigner tous les objets et les évènements de sa vie quotidienne. » Il existerait un lien positif entre le nombre de gestes de communication du poupon et le développement futur de son vocabulaire.
2 – Le langage oral
Le langage réceptif précède le langage expressif, c’est-à-dire que le jeune enfant comprend les mots avant de pouvoir les prononcer. En effet, si, entre l’âge de 11 et de 14 mois environ, l’enfant produit ses premiers mots, il en comprend habituellement déjà près d’une centaine. Dès lors et tout au long de sa vie, le langage, qu’il soit oral ou écrit, constituera « un outil pour la pensée et pour l’apprentissage».
Les protomots et premiers mots
Pour être en mesure de comprendre un mot, le jeune enfant doit être capable de le distinguer parmi tous les mots qui composent l’énoncé dans lequel il est inséré, pour ensuite lui donner une signification. Le contexte dans lequel le mot est prononcé donne à l’enfant des indications importantes qui lui permettent d’inférer sa signification. Ainsi, le poupon comprend mieux ce que l’on attend de lui s’il est assis à la table lorsqu’il entend « Veux-tu un morceau de banane ? » s’il est en train de jouer avec des blocs. « La fréquence et la répétition d’un même mot dans des contextes différents permettent au jeune enfant de s’apercevoir qu’il s’agit d’un mot» et d’en saisir graduellement la signification.
Il arrive que le poupon babille toute une série de sons qui ressemble à une phrase, avec des intonations, un début et une fin, pour répondre quand on lui parle. Par la suite, tout en accroissant son vocabulaire réceptif et expressif, l’enfant emploie des protomots, c’est-à-dire « une juxtaposition de sons pour désigner un objet précis», qu’il utilise systématiquement jusqu’à ce qu’il apprenne le mot juste. « Gaga » peut alors être utilisé au lieu de « lait », par exemple, dans le vocabulaire coloré du bébé.
L’enfant prononce d’abord les mots qu’il connaît, généralement des noms, de façon approximative, développant ainsi la capacité de prononcer certaines consonnes doubles vers l’âge de 4 ou 5 ans seulement. Un seul mot peut lui servir à exprimer une idée. Par exemple, en disant « ballon », il fait savoir qu’il veut le ballon ou invite son éducatrice à y jouer avec lui. Le mot « chat » peut être employé pour désigner tous les animaux à quatre pattes qui ont du poil, parce qu’il élargit le sens de certains mots selon ses besoins de communication. À l’inverse, il peut réduire le sens d’un mot. Ainsi, « gobelet » pourrait désigner son propre gobelet, mais pas les autres, ce qui témoigne de sa compréhension partielle des termes en question.
Le jeune enfant emploie également des stratégies de simplification pour être en mesure de prononcer des mots difficiles. Ainsi, il peut omettre une syllabe, dire « nane »au lieu de « banane » ou substituer un son à un autre en prononçant, par exemple, « biliothèce » au lieu de « bibliothèque ». Il réorganise parfois l’ordre des parties du mot, prononçant « pestacle » au lieu de « spectacle ».
Le langage entendu par l’enfant, tant par sa qualité que par sa quantité, influence son développement langagier. En conséquence, « […] il est extrêmement important que l’adulte prononce correctement […] en présence de l’enfant». L’emploi de mots simples et de phrases courtes, parfois accompagnés de gestes, fait partie des moyens appropriés pour soutenir le développement langagier des poupons. À mesure que l’enfant grandit, l’emploi, par l’adulte, d’un vocabulaire plus varié et de phrases complexes est beaucoup plus indiqué. De plus, la disponibilité, l’écoute et la sensibilité dont font preuve le personnel éducateur sont particulièrement utiles pour les aider à comprendre ce que les enfants cherchent à dire et à leur donner le goût de bien s’exprimer. L’apport des parents est d’ailleurs précieux pour saisir leur prononciation de certains mots et le sens de leurs protomots.
Les phrases
Autour de l’âge d’un an et demi ou lorsque l’enfant possède un vocabulaire expressif d’une cinquantaine de mots, on assiste à l’explosion de son vocabulaire. Il perçoit alors « de plus en plus les contrastes entre les différents phonèmes qui composent les mots». Cette familiarité avec la phonologie de sa langue augmente surtout au contact de la prononciation des adultes. L’enfant en arrive à combiner deux mots pour exposer une idée, comme « Atie maman » pour dire « Partie maman », dans un langage télégraphique. Avec la complexification de ses phrases ainsi que l’usage de déterminants et d’adjectifs, par exemple, l’enfant est en mesure d’exprimer plus précisément le sens de sa pensée (la sémantique).
L’enfant est par ailleurs de plus en plus attentif à la syntaxe, c’est-à-dire à l’ordre des mots dans une phrase. De plus, il ou elle saisit graduellement qu’un mot peut prendre différentes formes (la morphologie), le féminin, le masculin et l’accord des verbes s’insérant dans ses paroles.
Avec la pratique et l’expérience, le jeune enfant comprend aussi de mieux en mieux l’usage de la langue dans différents contextes sociaux (la pragmatique). Il peut éventuellement employer le langage pour poser des questions, demander de l’aide, expliquer ses idées, faire des salutations, consoler ou faire rire, par exemple. Il comprend également qu’il peut s’exprimer de façon plus familière avec les enfants qu’il connaît qu’avec les adultes qu’il ne connaît pas.
« […] L’enfant réalise des progrès considérables sur le plan langagier entre l’âge de 3 et 5 ans. Plus précisément, la prononciation des sons s’affine. Son répertoire de mots s’accroit et ses phrases se complexifient. » L’enfant comprend aussi de mieux en mieux les intentions de ses interlocuteurs. « En contextes éducatifs, le fait que les occasions d’entrer en relation avec les autres soient nombreuses, complexes et diversifiées, notamment par les interactions dans le jeu, favorise le développement des habiletés à communiquer de l’enfant. »
Afin de soutenir le développement du langage oral des enfants, le personnel éducateur peuvent :
- dialoguer avec les parents sur les progrès réalisés par leur enfant sur le plan langagier et sur les moyens qui permettent de le soutenir dans ces apprentissages ;
- agir comme modèles langagiers auprès des enfants en employant dans leurs interventions un vocabulaire riche et varié ;
- profiter de toutes les occasions qui se présentent de nommer les objets, les personnes et les événements qui surviennent a la garderie, tout en évitant « d’envahir »les enfants ;
- employer un même mot dans différents contextes pour soutenir sa compréhension par les enfants ;
- répéter, avec la prononciation correcte, les mots des enfants, sans toutefois leur demander de se corriger pour éviter de les distraire de leur intention de communication ;
- reformuler les paroles des enfants pour refléter sa propre compréhension ;
- leur poser des questions ouvertes, lorsque leur niveau de développement le permet, de façon telle qu’ils cherchent à donner une réponse plus complexe ;
- donner aux enfants beaucoup d’occasions de parler et leur laisser le temps nécessaire pour s’exprimer, dans le contexte d’interactions individuelles ;
- planifier des expériences riches sur le plan du langage, comme des moments où chansons, comptines et lecture d’albums et d’histoires sont à l’honneur ;
- organiser un coin de jeu symbolique attrayant et le renouveler régulièrement pour soutenir l’intérêt des enfants à y jouer, le jeu symbolique offrant beaucoup d’occasions de parler avec leurs pairs;
- planifier des retours fréquents sur les expériences vécues par les enfants à la garderie;
- etc.
3 L’éveil à la lecture et à l’écriture
L’apprentissage de la lecture et de l’écriture débute très tôt. C’est effectivement entre 0 et 6 ans qu’une bonne partie des habiletés requises pour faire cet apprentissage sont acquises. « Les enfants dont la première expérience du langage est positive s’éveillent à la lecture et à l’écriture, ce qui contribue en retour à l’acquisition du langage».
Nous avons vu que le vocabulaire s’accroît très rapidement pendant la petite enfance. C’est notamment sur ce bagage que l’enfant pourra s’appuyer pour décoder les mots lorsqu’il commencera l’apprentissage formel de la lecture. Ainsi, lorsqu’il apprendra à lire, l’enfant qui connaît le mot « casque » aura plus de facilité à le décoder à partir des sons des lettres qui le composent que s’il connaît uniquement le mot « chapeau » pour désigner tous les vêtements portés sur la tête.
L’apprentissage de nouveau vocabulaire se réalise dans ses interactions verbales avec les autres, mais également dans le contexte d’expériences de littéralité, la lecture d’histoires, par exemple, au cours desquelles l’adulte explique le sens des mots que l’enfant ne saisit pas encore. L’acquisition d’un vocabulaire étendu n’est toutefois pas suffisante pour préparer l’enfant à apprendre à lire et à écrire. L’éveil à la lecture et à l’écriture des jeunes enfants se réalise aussi par l’exploration des fonctions de l’écrit, la sensibilité phonologique, le principe alphabétique et l’écriture spontanée.
Les fonctions de l’écrit
Les fonctions de l’écrit font référence à l’utilité de l’écriture. Pour se divertir, on lit des histoires, des contes et des poèmes ; pour s’informer, on lit des revues et des journaux ; pour pouvoir se référer à des renseignements trop nombreux pour être gardés en mémoire, on se sert des listes, des carnets d’adresses, des notes, etc. ; pour apprendre et connaître, on se plonge dans des livres documentaires, des atlas, des encyclopédies, des cahiers d’exercices scolaires, etc. ; pour s’exprimer et communiquer, on écrit des cartes, des lettres, des courriels, etc. ; on écrit pour créer des histoires, des pièces de théâtre, des chansons et des comptines ; l’écriture est utile pour planifier ses jeux en atelier, prévoir les choses à apporter en pique-nique, les menus de la semaine, les achats à l’épicerie, etc.
En découvrant les différentes fonctions de l’écrit, l’enfant s’ouvre à tout un monde de possibilités. Il « […] devient de plus en plus curieux face à cet outil de communication. Il est tenté de s’en servir, il pose des questions sur les signes écrits comme les lettres de l’alphabet».
Le jeune enfant est familiarisé avec les fonctions de l’écrit, notamment au contact de modèles de lecteur et de scripteur, sa mère, son père, ses frères et sœurs plus âgés, ses grands-parents et, bien entendu, son éducatrice, son éducateur. A la garderie, le matériel écrit, tel que le nom des enfants identifiant leur espace personnel, les étiquettes utilisées pour organiser le rangement, les livres variés, dont plusieurs répondent à ses champs d’intérêt, l’aide-mémoire accroché pour signaler les allergies alimentaires, offre des exemples concrets de l’utilité de l’écrit au quotidien. Il est approprié de signaler aux poupons et aux enfants d’âge préscolaire l’utilité de ce matériel écrit, en démontrant que l’on se sert de l’écrit à divers moments de la journée et pour accomplir différentes tâches.
Certains garderie organisent une aire d’écriture comportant une table, des chaises, un tableau et des craies, du papier, divers crayons, une gomme à effacer et de la pâte à modeler pour tracer des formes à l’aide de longs boudins. Du matériel écrit peut aussi être placé dans l’aire de jeu symbolique en fonction des différents univers thématiques qui y sont exploités ainsi que dans toutes les autres aires de jeu.
Afin de soutenir la compréhension des fonctions de l’écrit, le personnel éducateur proposent aussi aux enfants d’écrire devant eux les messages ou les informations qu’ils dictent, comme lors de la création d’une carte de vœux, d’une histoire ou d’une comptine et lorsque leurs idées sont recueillies dans le cadre d’une activité-projet
La sensibilité phonologique
La sensibilité phonologique inclut la capacité de détecter et de manipuler les sons des grandes unités de langage, comme les mots et les syllabes, ainsi que les plus petites unités que sont les phonèmes.
Les jeunes enfants démontrent leur sensibilité phonologique en s’intéressant aux sons des mots, indépendamment de leur signification. Par exemple, ils remarquent les rimes comme celle que contiennent « bateau » et « gâteau » et nomment des mots qui commencent avec le même son, comme « maman » et « matin ». Pour rire, ils substituent aussi un son à un autre dans un mot, en disant, par exemple, « bollation »au lieu de « collation ». A la garderie, les comptines, les chansons et la comparaison des sons qui composent les mots font partie des expériences propices au développement de la conscience phonologique des enfants.
Dans la langue française, le code alphabétique est composé de 26 lettres. Ces 26 lettres servent à représenter 36 phonèmes, 36 sont différents. C’est à partir de la connaissance de ces petites unités que l’enfant décodera les mots, lorsqu’il ou elle apprendra à lire, à l’école.
Le principe alphabétique
« Pour apprendre à lire et à écrire dans un système d’écriture alphabétique, l’enfant doit parvenir à comprendre que les sons des mots parlés sont représentés à l’aide de symboles que sont les lettres. » L’apprentissage du principe alphabétique ne consiste donc pas à savoir réciter les 26 lettres de l’alphabet, mais plutôt à saisir le lien entre les sons qui composent les mots entendus et les lettres employées pour les écrire. À partir de la connaissance de quelques lettres, l’enfant peut comprendre le fonctionnement du principe alphabétique. C’est toutefois avec l’accompagnement d’un adulte et lorsqu’il a de l’intérêt pour la question que le jeune enfant peut réaliser cet apprentissage.
Pour connaître une lettre, il faut en apprendre la forme, le nom et le son. Le son de la lettre « a » est le même que le nom de cette lettre. Il en est autrement pour la lettre « b », dont le nom se prononce « bé », mais dont le son ne comporte pas de « é ». Au cours de ses dernières années de fréquentation de garderie, l’enfant peut être initié à associer quelques-uns de ces phonèmes aux lettres significatives pour elle ou lui, par exemple celles qui composent son prénom, son nom et ceux de ses proches.
L’écriture spontanée
Avant de pouvoir écrire les lettres correctement, le jeune enfant trace parfois des lignes qui évoquent l’écriture. Il ou elle inclut dans ces « écrits » les quelques lettres connues. Des « chercheurs ont suggéré que le fait d’encourager des tentatives d’écriture chez les enfants en bas âge est un moyen qui favorise l’appropriation de la langue écrite avant l’enseignement formel et systématique».
Dans cette perspective, un alphabet imprimé peut orner le mur près du lieu où les enfants sont les plus susceptibles d’expérimenter l’écriture, pour qu’ils se familiarisent avec celui-ci. Des abécédaires peuvent être placés parmi les livres. On peut aussi proposer aux enfants des crayons et des craies pour dessiner sur l’asphalte, mais aussi de la pâte à modeler et des bâtonnets pour tracer dans la terre ou dans le sable pour les inciter à écrire spontanément.
À travers des expériences de dessin, de peinture et de modelage notamment, le jeune enfant développe des habiletés de base qui lui permettront plus tard d’apprendre à écrire formellement avec facilité. Les expériences en arts plastiques peuvent donc lui être proposées fréquemment, autant pour le plaisir qu’elles procurent que pour le développement qu’elles soutiennent et la préparation à l’école qu’elles permettent.
4 Le développement graphique
Entre 1 et 5 ans, le jeune enfant qui a l’occasion de dessiner se développe dans tous les domaines simultanément. Sa motricité fine et sa coordination main-œil sont sollicitées, tout comme ses habiletés cognitives, qui l’amènent à trouver les gestes nécessaires pour tracer des lignes et des formes et à organiser les éléments qu’il dessine dans l’espace de sa feuille. Avec le dessin qui constitue en soi un langage, l’enfant exprime ce qu’il juge important et son développement social et affectif s’en trouve favorisé.
Le gribouillis
On nomme « gribouillis »la première phase du développement graphique. Elle s’amorce lorsque l’enfant, pour la première fois, laisse sa trace sur le papier et elle se termine lorsqu’apparaît le bonhomme têtard qui signe la naissance du personnage dans le développement graphique.
Le gribouillis peut être décomposé en plusieurs phases. Le poupon appréhende le crayon, comme il le fait avec tous les objets, en le manipulant, en le regardant, en le goûtant et en écoutant parfois son bruit lorsque ce crayon percute une surface.
Quand l’enfant dessine pour la première fois sur une surface de papier, il poursuit son activité motrice et réalise des gribouillis incontrôlés. Le résultat visuel de son action n’est pas encore saisi et c’est physiquement qu’il exploite l’outil. L’enfant prend ensuite conscience des traces que le crayon laisse sur le papier ou ailleurs ; il ou elle découvre l’effet de son action. Les gribouillis contrôlés marquent la période au cours de laquelle l’enfant commence à organiser volontairement son image en choisissant où il laisse ses traces. Le plaisir du mouvement est maintenant accompagné d’une exploration résolument visuelle.
Les préforme s’intègrent ensuite dans le vocabulaire graphique du jeune enfant. Des lignes, de plus en plus contrôlées, s’éparpillent en zigzags et en spirales, contournant les traces éparses dans sa page. L’enfant acquiert bientôt suffisamment de contrôle sur ses gestes pour tracer des lignes dont les extrémités se joignent et créer des formes fermées. Il ou elle poursuit son exploration en combinant ces formes deux à deux, puis trois à trois, insérant par exemple des croix dans ses rectangles et des cercles dans ses carrés ou encore en les dessinant côte à côte pour former ce que l’on nomme des « combinés ».
Des combinés de forme circulaire, appelés « mandalas », sont fréquents dans les dessins de l’enfant. Ce dernier dispose des rayons autour de ses cercles et de ses ovales. Après beaucoup de tâtonnements, il allonge deux rayons pour faire des jambes et trace des yeux et une bouche dans le cercle. Il parvient ainsi à représenter son premier personnage, un bonhomme têtard.
Le pré schématisme
Le bonhomme têtard, à la grosse tête et aux filaments de jambes, se complexifie à mesure que l’enfant expérimente la représentation humaine dans la phase du pré schématisme. Il associe alors les formes géométriques pour dessiner ce qui a de l’importance pour lui et, comme depuis le début de ses expériences de dessin, ses couleurs correspondent à ses goûts plutôt qu’à la réalité objective. Les éléments qu’il représente flottent dans la page et leur taille varie selon l’intérêt qu’il leur accorde. Il explore aussi la représentation des objets.
La capacité de tracer des formes fermées et de les combiner marque l’acquisition des habiletés nécessaires au traçage des lettres.
5 Les fonctions exécutives, la créativité et le développement langagier
Le langage semble tenir un rôle de premier plan dans le développement des fonctions exécutives. Comme nous l’avons vu précédemment, le soliloque permettrait à l’enfant de planifier et d’autoréguler ses actions afin d’atteindre un but. Par ailleurs, la mémoire de travail est essentielle au développement langagier, puisqu’elle permet, dans toutes situations qui se déroulent dans le temps, comme la conversation ou la lecture interactive d’une histoire, de se souvenir de ce qui précède (la question posée ou le début de l’histoire, par exemple) pour établir un lien avec ce qui suit (la réponse à donner ou les péripéties de l’histoire, par exemple). Le langage aide les enfants à nommer leurs pensées et leurs actions, à réfléchir à leur sujet de même qu’à planifier et à garder en mémoire cette planification. La compréhension et le respect de règles de plus en plus complexes, liés autant à la régulation de leurs comportements qu’à leurs jeux, sont facilités par leurs habiletés langagières.
Afin de soutenir les fonctions exécutives des jeunes enfants à travers leur développement langagier, toutes les expériences qui impliquent de converser sont pertinentes. Dans cette perspective, le jeu symbolique, les causeries, les lectures interactives, la création d’histoires, la planification d’ateliers ou de projets et les retours sur les activités sont tout indiqués pour les jeunes enfants.
Parmi les expériences appropriées pour soutenir le développement langagier, plusieurs conduisent à exercer sa créativité, elle-même étroitement associée à la fluidité mentale.
- Les influences du développement langagier sur les autres domaines
Le développement langagier influence :
Le développement physique et moteur, car il soutient la compréhension des consignes qui se rapportent à son corps, à ses déplacements, à son autonomie fonctionnelle (lavage des mains, habillage, etc.) et à sa sécurité physique.
Le développement cognitif, car plus son vocabulaire est étendu, plus l’enfant est en mesure d’établir des liens entre ses connaissances ; plus le vocabulaire est précis, plus sa compréhension se raffine. De plus, le développement langagier fait appel à la capacité d’employer les symboles, une composante du développement cognitif.
Le développement social et affectif, car il aide l’enfant à faire connaître sa personnalité, ses champs d’intérêt, sa culture familiale avec ses expressions particulières. Le développement langagier aide l’enfant à communiquer de façon intelligible et socialement acceptable ainsi qu’à utiliser la parole dans ses interactions avec les autres et pour résoudre ses conflits interpersonnels, notamment.