9. LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET AFFECTIF
Le jeune enfant est avant tout un être social qui se développe au contact des autres. Son développement social et son développement affectif sont étroitement liés.
Comme nous l’avons vu dans les fondements théoriques de ce programme, le développement social et affectif du jeune enfant s’appuie sur l’attachement qu’il ou elle a pu tisser avec ses parents et sur ses relations affectives significatives avec d’autres adultes qui prennent soin de lui.
On associe à son développement social et affectif son tempérament ainsi que le concept de soi qui permet à l’enfant de se considérer comme un être unique, distinct des autres. La construction de son identité et des bases d’une saine estime de soi fait également partie de son développement affectif, tout comme le développement de son autonomie, de sa confiance en sa capacité d’apprendre et de sa motivation à aller à la rencontre de son environnement humain et physique.
Ce domaine de développement touche par ailleurs les émotions de l’enfant, sa capacité croissante de les exprimer, de les comprendre et de les réguler, de même que ses compétences sociales.
- 1 Le tempérament
- 2 Le concept de soi
- 3 L’identité
- 4 Les compétences émotionnelles
- 5 Les compétences sociales
- 6 – Les fonctions exécutives, la créativité et le développement social et affectif
- 7- Les influences du développement social et affectif sur les autres domaines
1 Le tempérament
« Le tempérament réfère aux caractéristiques individuelles qui déterminent les réactions affectives, attentionnelles et motrices dans différentes situations. » « Il est modelé à la fois par des facteurs génétiques et environnementaux. »
Le tempérament se compose, d’une part, de caractéristiques liées à la réactivité, à la manière dont l’enfant réagit à la nouveauté, à sa capacité d’adaptation en situation de changement, à son humeur. D’autre part, le tempérament renvoie à la capacité d’autorégulation, c’est-à-dire à la capacité de contrôler ses élans, de se concentrer et de maintenir son attention, de s’adapter à la nouveauté, mais également d’apprivoiser ses émotions et de composer avec elles.
Tous les traits de tempérament ont des aspects positifs et négatifs selon le contexte dans lequel ils se manifestent. Par exemple, un enfant dont les réactions sont discrètes en situation de détresse ou de plaisir est perçu comme un enfant facile à encadrer, ce qui peut être gratifiant pour lui. Toutefois, il ou elle aura peut-être plus de difficulté qu’un enfant qui s’exprime beaucoup à faire comprendre ses besoins.
La personnalité se développe tout au long de la vie sur la base de ce tempérament et à travers les expériences vécues au cours des années.
La personnalité de l’adulte qui prend soin de l’enfant et le tempérament de ce dernier (à la base de sa personnalité en devenir) ont une influence tout aussi importante sur leurs interactions. En effet, la personnalité de l’adulte peut lui permettre de s’ajuster facilement à un enfant, mais faire en sorte qu’il éprouve des difficultés à s’ajuster à un autre enfant. L’important est que l’adulte en prenne conscience pour pouvoir répondre de façon appropriée aux besoins de chacun, y compris à ceux qui ne correspondent pas à son propre idéal.
- 2 Le concept de soi
« Le concept de soi englobe toutes les perceptions que la personne a d’elle-même. C’est un ensemble complexe qui comprend également l’estime de soi et la confiance en soi. Au fil de ses expériences et à travers le regard d’autrui, l’enfant apprend à reconnaître les caractéristiques qui lui sont propres et les différences qui existent entre lui-même et les autres. Graduellement, il développe une vision de plus en plus juste et réaliste de ses forces et de ses faiblesses. »
Le poupon apprend à se connaître d’abord au hasard de ses mouvements, qui placent des parties de son corps dans son champ de vision. C’est à travers ses expériences physiques et motrices, l’apprivoisement de son corps et le développement de son schéma corporel que l’enfant saisit peu à peu qu’il est différent des personnes et des objets de son entourage. Avec l’acquisition de la permanence de l’objet, « l’enfant devient […] pleinement conscient qu’il est un individu à part entière et cherche à identifier les caractéristiques qui le différencient des autres. »
« Les enfants forgent leur image d’eux-mêmes en observant leurs parents et en les écoutant. Mais c’est surtout en voyant et en ressentant la fierté ou la déception de leurs parents à leur endroit qu’ils construisent cette image. » Cette dernière est également teintée par le regard du personnel éducateur qui en prennent soin à la garderie.
Comme nous l’avons vu dans la section sur l’attachement, la confiance de l’enfant en la capacité de l’adulte de comprendre ses besoins et d’y répondre lui permet de s’en éloigner pour explorer le monde qui l’entoure. À travers ses explorations, il ou elle réalise des apprentissages qui construisent graduellement sa confiance en ses propres capacités. En nommant avec précision les réussites de l’enfant, mais surtout ses questionnements, ses stratégies pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés, en valorisant sa persévérance et les efforts déployés pour exercer ses nouvelles habiletés, en lui offrant de l’aide pour réaliser ce qu’il n’est pas encore capable de faire seul, donc en soutenant le développement affectif de l’enfant à travers le processus de l’étayage, l’adulte soutient la construction de sa confiance en soi.
« L’estime de soi est l’évaluation que la personne fait d’elle-même, l’évaluation de sa valeur en tant qu’être humain. » Elle constitue « un facteur de protection essentiel contre les problèmes d’adaptation et d’apprentissage chez les enfants». Elle se construit sur la confiance en soi de l’enfant et peut émerger lorsque celui-ci est en mesure de s’autoévaluer. Cette autoévaluation, toutefois, est largement tributaire du regard que portent sur lui les adultes significatifs. En conséquence, la connaissance du développement des jeunes enfants fait partie des outils incontournables pour avoir à son endroit des attentes réalistes, lui faire vivre des expériences adaptées à ses capacités et soutenir son estime de soi.
L’estime de soi évolue tout au long de la vie et peut varier selon les domaines de développement. Un enfant peut, par exemple, avoir une haute estime de lui-même en matière de relations sociales tout en se jugeant moins adéquat dans ses habiletés motrices. Avoir une bonne estime de soi consisterait surtout à avoir une idée juste de ses forces et de ses difficultés.
L’autonomie est étroitement liée à la confiance et à l’estime de soi. Elle « réfère à l’ensemble des compétences que l’enfant développe pour lui permettre de faire des choix et de prendre des décisions, ce qui contribue à faire d’elle ou de lui une personne bien dans sa peau, confiante et responsable». « L’adulte qui laisse assez d’autonomie à l’enfant en lui permettant d’explorer, de découvrir et d’apprendre seul contribue à développer une bonne estime de soi puisque l’enfant sait alors, pour l’avoir expérimenté, qu’il est capable d’atteindre les buts qu’il se fixe : se retourner sur le ventre, manger seul ou empiler des blocs et, plus tard, réussir un examen difficile!
« Il appartient à l’adulte de ne pas enfermer l’enfant dans une image négative de lui-même. » Le renforcement positif, qui consiste à souligner par les paroles, le regard ou les gestes les réussites et les efforts, mérite d’être privilégié à la garderie plutôt que les punitions et les conséquences. Il est d’ailleurs important d’« éviter de souligner négativement les comportements ou les attitudes qui sont liées au développement
Par exemple :
- entre 0 et 9 mois environ : pleurer, crier, demander de l’attention, etc. ;
- entre 9 et 18 mois environ: fouiller, mal prononcer des mots, toucher à tout, etc. ;
- entre 18 et 36 mois environ : dire « non », vouloir tout décider, crier, etc. ;
- entre 3 et 6 ans environ : fabuler, inventer, jouer avec un fusil, etc.».
- 3 L’identité
L’identité est la manière dont l’enfant se perçoit et pourrait se décrire en réponse à la question « Qui es-tu ? ». Cette identité est à la fois individuelle (ce qui fait de moi une personne unique) et sociale (les caractéristiques que je partage avec différents groupes).
« Par nature, l’être humain est grégaire. Il a besoin d’appartenir à un groupe, de se relier à autrui, de sentir qu’il est rattaché à un réseau relationnel. » « Tout au long de sa vie, [il] est partagé, parfois tiraillé, entre deux formes de reconnaissance nécessaire au développement et au maintien de l’estime de soi : la reconnaissance de son identité (sa singularité) et la reconnaissance de sa conformité. »
En plus de ses composantes affectives et sociales, on attribue à l’identité une composante physique et motrice qui renvoie au schéma corporel et à l’image que l’enfant construit de son propre corps. On lui attribue également une composante cognitive qui fait référence aux connaissances et aux expériences qui servent à construire le concept de soi.
« […] De nombreux chercheurs et philosophes en sont arrivés à la même conclusion : l’identité n’est pas statique, ni figée, mais dynamique, multi-facette. Elle est un processus actif. Elle n’est jamais définitive et correspond à une fusion personnelle entre le passé et l’avenir, les faits réels et la fiction, reformulés de manière créative dans une histoire toujours changeante. » Cette perspective fait écho à la capacité de transformation que confère à l’être humain le courant de la psychologie humaniste, un des fondements de ce programme.
Identité personnelle
Au cours des premiers mois de sa vie, le poupon apprend qu’il est un être entier, distinct des autres. Le poupon devient peu à peu pleinement conscient qu’il est un individu à part entière et cherche à reconnaître les caractéristiques qui le différencient des autres. Vers l’âge de 2 ans, « pour se faire entendre (et non pour se rebeller contre l’adulte), l’enfant cherche à maîtriser son environnement en tentant d’exprimer ses choix, en faisant connaître ses préférences, en s’affirmant, en s’opposant».
Arrivé à l’âge préscolaire, vers 3 ou 4 ans, le jeune enfant se décrit à l’aide de caractéristiques concrètes et observables associées à ses attributs physiques (j’ai les yeux bruns), ses habiletés et ses activités physiques (je peux sauter très haut et faire des roulades), ses traits psychologiques (je suis toujours de bonne humeur) et ses préférences (j’aime beaucoup mon chien). On constate ici encore l’importance de donner des choix aux enfants et d’accueillir favorablement leurs initiatives, puisque c’est de cette façon qu’ils découvrent ce qu’ils aiment et qu’ils construisent leur identité individuelle.
Identité sociale
L’identité sociale du jeune enfant se détermine à mesure qu’il conçoit faire partie de différents groupes : une famille, un groupe à la garderie, les garçons ou les filles, etc. L’identité sociale est étroitement liée au sentiment d’appartenance que l’enfant développe à l’égard de différents groupes. Il ou elle intègre graduellement la culture de ces groupes, c’est-à-dire le système partagé de sens qui inclut des valeurs, des croyances et des façons de voir les choses, qui s’expriment dans les interactions quotidiennes à travers le langage, les comportements, les coutumes, les attitudes et les pratiques. Selon certains auteurs, c’est essentiellement par cette transmission culturelle, cet accompagnement, que l’enfant se développe et réalise des apprentissages dans tous les domaines.
Le jeune enfant fait d’abord partie d’une famille dont il partage les traditions : chez Noémie, une grande rencontre de famille est organisée chaque hiver à la pêche sur glace ; chez Jean, le vendredi soir, on se fait plaisir en mangeant de la pizza ; chez Kim, le Nouvel An chinois fait l’objet de nombreux préparatifs culinaires. À la maison, on emploie un vocabulaire particulier, parfois une langue autre que le français ou l’anglais ; on accorde beaucoup d’importance à certaines choses et moins à d’autres. Par exemple, la fête des Mères est célébrée en grand chez William alors que chez Adèle, cet événement est plutôt considéré comme une fête inventée au profit des commerçants.
Les traditions familiales des enfants sont plus ou moins proches de la culture de la garderie. L’enfant a toutefois besoin de sentir son appartenance à la fois à ce dernier et à sa famille. Avec le temps, il s’identifiera également à un groupe d’amis, à une équipe de sport ou à un corps de métier en développant aussi à leur égard un sentiment d’appartenance. C’est donc en tout respect que les traits culturels familiaux des enfants doivent être considérés à la garderie, quel que soit leur écart avec la culture de la garderie.
À partir des expériences communes à tous les êtres humains, il est possible d’amener les enfants à prendre conscience de ce que nous partageons, comme faire partie d’une famille, grandir, préparer et manger des repas, dormir, jouer, participer à des activités de loisir, se déplacer, célébrer des événements, etc. On peut alors aborder avec intérêt les différentes manières dont sont vécues ces expériences communes dans les familles des enfants.
Certains enfants doivent s’adapter à divers univers culturels dont les valeurs diffèrent beaucoup. Par exemple, issu d’une famille qui accorde beaucoup d’importance à l’interdépendance qui a assuré sa survie, un enfant peut éprouver des difficultés dans une garderie qui valorise plutôt l’autonomie. Le partenariat entre les parents et le personnel éducateur permet de discuter des différentes valeurs en jeu et de s’ajuster mutuellement.
Le développement d’un sentiment d’appartenance à son groupe à la garderie est d’une grande importance pour les jeunes enfants. La présence de rituels (une chanson pour réunir le groupe le matin, une routine pour retrouver le calme avant la sieste, un cri de rassemblement pour annoncer la fin des jeux à l’extérieur, etc.), l’attribution d’un espace de rangement pour chaque enfant à la garderie, la possibilité de participer aux tâches quotidiennes et d’exercer des responsabilités de même que la mise en œuvre d’expériences de collaboration qui demandent la participation de chacun (des jeux avec un parachute, par exemple) contribuent à créer ce sentiment. Le climat positif et la bienveillance ressentis dans le groupe favorisent aussi chez l’enfant le sentiment d’appartenance à la garderie, ce qui renvoie au soutien émotionnel.
La garderie peut également contribuer au sentiment d’appartenance de l’enfant à sa communauté en invitant ses membres à réaliser des activités avec les enfants, en donnant à ces derniers l’occasion de visiter certains lieux ou commerces d’intérêt pour leur âge, en accueillant des travailleurs pour parler de leur métier, en affichant la promotion des activités destinées aux familles dans la communauté, etc.
- Les compétences émotionnelles
Les émotions sont des réactions suscitées par les expériences positives ou négatives que l’on vit au quotidien. Elles revêtent des caractéristiques psychologiques et physiologiques et, souvent, ne perdurent pas dans le temps. Les émotions nous renseignent sur notre état interne et nous permettent de porter un jugement appréciatif sur la situation ou sur les événements que l’on vit. Par exemple, elles nous renseignent sur ce qui va bien, nous préviennent de possibles dangers, ou encore, nous signifient un inconfort. De plus, elles déterminent dans quelle mesure nos besoins sont satisfaits ou insatisfaits. Les émotions que nous ressentons sont là pour nous aider à mettre en place et orienter nos stratégies d’adaptation et répondre à nos besoins, dans le contexte des situations tant positives que négatives. Ainsi, selon plusieurs chercheurs, « […] la principale fonction des émotions est de signaler aux autres, et à l’enfant lui-même, s’il y a lieu de modifier ou de maintenir le comportement adopté en vue d’atteindre un objectif donné».
Entre 0 et 5 ans, de nombreux apprentissages entourant les émotions, les siennes et celles des autres, sont réalisés. Au contact des personnes qu’il ou elle côtoie, l’enfant développe graduellement ses capacités d’expression, de compréhension et de régulation des émotions. Les compétences émotionnelles, importantes en elles-mêmes, aident aussi à assurer des interactions sociales efficaces, construites à l’aide d’habiletés spécifiques comme écouter, coopérer, demander de l’aide au moment opportun, se joindre à des interactions déjà en cours et négocier. Le tempérament de l’enfant et son expérience influencent l’acquisition des compétences sociales.
L’expression des émotions
Le jeune enfant exprime et identifie d’abord les émotions primaires que sont la joie, la peur, le dégoût, la colère, la surprise et l’intérêt. Avec l’acquisition du concept de soi qui lui permet de comprendre qu’il est un être à part entière, il vit des émotions plus complexes : la gêne et la jalousie. Puis, quand il est en mesure de juger de ses actions par rapport aux règles, aux normes et aux objectifs à atteindre dans son milieu de vie, il peut ressentir de l’embarras, de la honte, de la culpabilité ou de la fierté. De plus, l’enfant réalise qu’il vit parfois plusieurs émotions simultanément. Il peut être à la fois triste et en colère, par exemple, lorsque son éducatrice est remplacée momentanément.
« Les enfants doivent apprendre à communiquer leurs émotions en respectant les règles et les conventions en vigueur dans leur famille ou leurs groupes sociaux […]. » Par exemple, l’expression de sa colère face au comportement de l’adulte qui prend soin de lui sera moins bien accueillie que l’expression de sa joie de partager un jeu avec un pair. La culture familiale influe grandement sur la manière dont l’enfant apprend à exprimer ses émotions.
Soulignons que les attentes des adultes concernant l’expression des émotions chez l’enfant sont parfois stéréotypées, c’est-à-dire déterminées à l’avance en fonction du sexe, de son origine culturelle ou d’autres caractéristiques. Le personnel éducateur conscients de ce phénomène peuvent aider les enfants à développer des stratégies de régulation émotionnelle diversifiées plutôt que limitées par l’adhésion aux stéréotypes.
Par exemple, le personnel éducateur peuvent soutenir l’expression des émotions des enfants de leur groupe en démontrant écoute et sensibilité à ce qu’ils vivent et à leurs besoins, en décodant leurs états émotionnels, en établissant des liens avec des émotions qu’ils ont déjà vécues, en exprimant de façon adéquate leurs propres émotions et en les nommant.
La compréhension des émotions
Les jeunes enfants cherchent à comprendre leurs propres comportements et ceux des autres ; les émotions offrent des renseignements essentiels pour interpréter ces comportements et guider leurs interactions. La compréhension des émotions « renvoie à la capacité de l’enfant à percevoir, à décoder et à interpréter ses propres émotions et celles d’autrui. Cela inclut également la capacité de cerner les déclencheurs potentiels ou les causes probables des réponses émotionnelles».
C’est à travers le vocabulaire réceptif, c’est-à-dire le vocabulaire que l’enfant comprend, qu’il ou elle peut d’abord associer un mot entendu, par exemple « content », à sa propre émotion ou à une expression faciale observée. Le poupon apprend graduellement à nommer les émotions ressenties ou perçues chez les autres. Comme c’est le cas pour le langage en général, sa capacité de comprendre le vocabulaire relatif aux émotions devance sa capacité de produire les mots qui s’y rapportent.
Vers l’âge de 4 à 5 ans, l’enfant commence à faire des liens de cause à effet entre les situations et les émotions qu’elles engendrent, des liens qui relèvent également de son développement cognitif. C’est vers cet âge qu’il ou elle comprend que les souvenirs peuvent faire naître des émotions, par exemple que la photographie d’un animal de compagnie disparu depuis un moment déjà peut amener de la tristesse.
La régulation des émotions
Les jeunes enfants passent graduellement de la régulation des émotions, c’est-à-dire la capacité, soutenue par l’adulte, de composer avec elles et de les modifier, à l’autorégulation, à la capacité de les réguler par eux-mêmes.
« La régulation émotionnelle doit d’abord être comprise du point de vue de l’individu qui gère ses émotions, et plus précisément des buts qui lui sont propres. » Par exemple, le jeune enfant qui utilise délibérément les cris pour obtenir ce qu’il désire le fait probablement parce que cette stratégie lui permet d’arriver à ses fins dans certains contextes, bien qu’elle soit jugée inadéquate à la garderie.
Lorsque l’adulte prend l’enfant dans ses bras pour l’aider à calmer ses pleurs, lui offre un objet à manipuler pour le distraire de sa colère de ne pouvoir aller dehors, lui explique pourquoi il ne peut pas grimper sur la commode même si l’idée lui semble hautement excitante, il ou elle l’accompagne dans la régulation de ses émotions.
Un jeune enfant peut gérer son émotion en s’auto réconfortant. C’est ce que fait Marion lorsque, au départ de son parent le matin, elle prend sa petite couverture et sa peluche. L’enfant peut également transformer l’expression de son émotion, par exemple sourire dans une situation anxiogène, pour se convaincre et convaincre les autres qu’il est heureux.
Il arrive souvent que la régulation des émotions repose sur des stratégies de résolution de problème. L’enfant peut alors renoncer à son objectif (ne plus tenter de monter dans la glissoire, par exemple), le transformer (comme choisir un autre partenaire de jeu), choisir un nouvel objectif (se joindre au groupe qui fait la course) ou changer son interprétation des causes de la situation (se dire, par exemple, qu’il ne voulait pas glisser, de toute façon !). Certains enfants tentent également de transformer ou d’éviter une situation afin d’esquiver la surexcitation. Ainsi, Gilbert, qui est sensible au bruit, coupe le son de l’appareil audio ou s’éloigne du groupe lorsque celui-ci se met à danser.
La capacité de résoudre des problèmes interpersonnels est également un moyen efficace de réguler ses émotions en ce qu’elle permet de trouver des options de remplacement et des compromis. Par exemple, lorsque Marie-Claire réalise qu’elle aura beaucoup de mal à dissuader sa partenaire de lui laisser le rôle de la bonne fée, elle suggère d’ajouter au scénario une princesse qu’elle personnifiera avec plaisir. L’enfant aurait pu aussi chercher l’aide de l’adulte, montrer de l’agressivité ou encore se faire plus insistante. Ces quelques exemples témoignent bien du potentiel des situations de jeu pour apprendre à autoréguler ses émotions. Toutefois, pendant la petite enfance, l’enfant a souvent besoin de soutien pour développer ces capacités.
Il est important de se rappeler l’importance d’accueillir les émotions de l’enfant. Leur régulation ne devrait pas conduire celui-ci à les réprimer ou à les taire.
5 Les compétences sociales
« Les compétences sociales sont les habiletés que développe l’enfant pour lui permettre d’établir des relations satisfaisantes avec ses pairs et les adultes de son environnement. L’acquisition de compétences sociales amène l’enfant à s’adapter plus facilement aux divers contextes de vie auxquels il doit faire face. »
Le tempérament de l’enfant, l’image qu’il se fait de lui-même (concept de soi), les caractéristiques de son identité personnelle et sociale et sa manière d’exprimer, de comprendre et de réguler ses émotions jouent un rôle appréciable dans l’acquisition de compétences sociales.
La conscience de l’autre
Dès ses premiers mois, l’enfant a des comportements qui témoignent qu’il a conscience que les autres ont des pensées qui leur sont propres. Graduellement, il ou elle élabore, à propos de leurs pensées, ce que l’on nomme une « théorie de l’esprit », « une théorie pour expliquer comment les autres personnes pensent, ce qu’elles croient ou désirent».
L’attention conjointe qu’un enfant recherche en pointant à l’adulte un objet convoité, par exemple, montre que l’enfant connaît une partie de son état mental, soit l’attention qu’il porte aux choses et aux personnes. Graduellement, le poupon comprend que ses pairs et les adultes qui l’entourent vivent des états différents des siens ; parfois, les autres voient ce que lui ne voit pas, ressentent des émotions qu’il ne ressent pas, etc. Vers l’âge de 2 ou 3 ans, l’enfant adapte sa façon de jouer ou de parler en fonction de l’autre enfant avec lequel il joue. Autour de l’âge de 4 ans, la capacité d’élaborer une théorie de l’esprit est vraiment acquise.
Cette conscience des pensées de l’autre, parfois divergentes des siennes, est d’une importance capitale dans le développement social du jeune enfant. Elle l’aide à trouver des solutions à ses conflits interpersonnels en tenant compte du point de vue d’une autre personne et ouvre la voie à l’empathie, à l’adoption de comportements pro-sociaux et à la collaboration. Avant cette acquisition, il est courant de voir un enfant avoir un comportement qui pourrait être qualifié d’égocentrique simplement parce qu’il ou elle s’imagine que les autres comprennent ses intentions. Lorsque, par exemple, Alona, 3 ans, s’élance dans le monceau de feuilles mortes rassemblées par Gabriel et provoque un conflit, elle n’a pas conscience que ce dernier n’a pas compris sa volonté de simplement s’intégrer au jeu.
L’accompagnement de l’enfant dans l’acquisition de la théorie de l’esprit peut prendre la forme de questionnements et d’explications concernant les divergences des attentes de l’un et de l’autre, qui sont souvent à l’origine des conflits interpersonnels. Le personnel éducateur peuvent également agir comme modèles en exprimant à haute voix leur compréhension des états émotifs des enfants.
Les règles de la vie en société
Avec son milieu familial, la garderie constitue l’un des premiers milieux au sein duquel l’enfant apprend les règles de la vie en société. Les salutations à l’arrivée et au départ, les mots de politesse comme « s’il-vous-plaît » et « merci », le tour de parole, etc. sont des conventions sociales que les enfants sont graduellement appelés à appliquer. Le respect du matériel mis à leur disposition au à la garderie, les gestes de nature écologique visant la récupération, la réutilisation et la réduction des déchets, l’entraide et le soutien mutuel nécessaires à la cohésion dans le groupe font également partie des attitudes et des comportements qu’il est important de soutenir pour aider les jeunes enfants à développer des relations respectueuses et harmonieuses avec les autres.
Les consignes peu nombreuses, claires pour les enfants du groupe, concrètes, formulées positivement (« Reste assis, s’il-te-plaît » plutôt que « Ne te lève pas », par exemple, ou « Dessine sur le papier », plutôt que « Ne dessine pas sur la table ») et cohérentes contribuent à organiser la vie en collectivité au SGEE. Répétées régulièrement et appliquées avec constance, elles aident les jeunes enfants à comprendre ce qui est attendu de leur part. Toutefois, il est important d’évaluer la pertinence de ces consignes et de ses attentes à l’égard des enfants pour faire en sorte qu’ils rencontrent le moins d’entraves possible à leurs initiatives.
Les relations entre pairs
« […] [Des] chercheurs ont démontré que non seulement les bébés sont attirés par les autres bébés, mais qu’ils ont besoin de leurs pairs pour développer leurs habiletés sociales. » Le fait d’avoir eu des interactions positives ou négatives avec des pairs avant l’âge scolaire favoriserait les habiletés à interagir avec les autres.
Au cours de leurs premiers mois de vie, les enfants s’intéressent déjà à leurs pairs. Comme nous l’avons vu dans la section sur le jeu, ils observent d’abord ce que font leurs pairs sans toutefois jouer avec eux. Ils imitent ensuite les jeux des autres, prenant plaisir à jouer parallèlement. Les poupons montrent parfois des préférences marquées pour l’un ou l’autre des membres de leur groupe, auquel ils s’associent en fonction de caractéristiques qui leur sont communes ou d’intérêts qu’ils partagent. « Pour eux, les aspects les plus importants de l’amitié consistent à faire des activités ensemble, à s’apprécier, à s’aider mutuellement et, dans une moindre mesure, à habiter à proximité, [etc.].
« Un certain nombre d’habiletés affectives, cognitives et comportementales acquises pendant les deux premières années de la vie contribuent positivement aux relations entre pairs. Il s’agit de la gestion de l’attention conjointe, de la régulation des émotions, de l’inhibition des impulsions, de l’imitation des actions d’un autre enfant, de la compréhension des relations de cause à effet, et du développement des habiletés langagières. »
Les enfants qui manifestent leur malaise par l’agressivité, par l’hyperactivité ou par le retrait social sont souvent confrontés à un plus grand risque de rejet par les pairs. En conséquence, il est important de les accompagner dans la régulation de leurs comportements afin d’amoindrir ces risques. Divers modes d’organisation et différentes interventions peuvent par ailleurs permettre de prévenir certains conflits entre les enfants.
La résolution des conflits interpersonnels
« En contextes éducatifs, nombreuses sont les occasions où l’enfant est confronté à des conflits avec ses pairs. » Ses compétences sociales, dont ses habiletés à trouver des solutions à ces conflits, se construisent à travers des interactions riches, vécues dans différents contextes, et par la maturation de ses capacités cognitives.
Les adultes peuvent accompagner les enfants dans la recherche de solutions à leurs conflits interpersonnels. C’est le cas lorsque l’éducatrice (l’éducateur), selon les capacités des enfants de son groupe :
- Démontre rapidement aux enfants qu’elle est attentive et disponible pour répondre à la situation, établit un contact apaisant avec les enfants en cause et les réconforte au besoin ;
- Utilise une forme de médiation adaptée à l’âge des enfants, à leur habileté à résoudre des conflits et à la complexité du conflit, si son aide est utile ;
- S’assure que chacun des enfants en cause peut exprimer son point de vue et ses sentiments ;
- S’assure que les enfants sont capables d’énoncer des solutions ou suggère une variété de solutions aux enfants ;
- Donne aux enfants la possibilité de choisir eux-mêmes la solution qui leur convient ;
- Agit comme modèle pour faire comprendre le comportement attendu des enfants;
- Soutient les enfants dans la mise en œuvre des solutions trouvées. »
Les comportements pro-sociaux
À partir de l’âge de 12 mois environ, les enfants ont la capacité d’aider et le font spontanément dans différentes circonstances. Ce comportement ne serait pas lié aux attentes des adultes à leur endroit ou à une volonté de bien paraître.
« […] Un enfant commence à éprouver de l’empathie dès l’âge de 2 ans. La suite logique de cette empathie est le comportement pro-social, qui prend la forme de comportements volontaires à l’égard d’autrui et dont l’objectif est le bénéfice de l’autre. » Les comportements pro-sociaux consistent à : aider, appliquer le tour de rôle, partager et réconforter, notamment.
Dans la garderie, de grandes qualités, comme l’empathie et le sens de la communauté, sont infusées dans les moindres interactions entre le personnel éducateur ou et les enfants. Les adultes responsables d’enfants démontrant des comportements pro-sociaux partageraient les caractéristiques et les pratiques suivantes : ils et elles ont des attentes cohérentes, agissent avec chaleur et courtoisie et démontrent naturellement leur respect pour toutes les personnes qui se présentent dans leur local, leurs collègues, les parents et, plus important encore, les jeunes enfants de leur groupe.
6 – Les fonctions exécutives, la créativité et le développement social et affectif
Le domaine du développement social et affectif est riche d’occasions de soutenir les fonctions exécutives et la créativité des jeunes enfants. Dans la section portant sur les fonctions exécutives, nous avons vu que l’inhibition contribue à l’autorégulation des émotions. La capacité d’anticiper les réactions de l’autre en observant les manifestations de son émotion et d’agir en s’ajustant à cette émotion requiert des habiletés qui se déploient également dans les tâches de planification. La flexibilité mentale de l’enfant l’aide à adopter des solutions inédites à ses problèmes d’ordre relationnel et à ses conflits. La mémoire de travail est mobilisée pour appliquer ou respecter les consignes données par l’éducatrice, l’éducateur.
Les jeux basés sur les interactions que l’adulte propose au poupon assis sur ses genoux (sa main se transformant en araignée qui s’avance pour le chatouiller, par exemple), l’amènent à anticiper ce qui s’en vient, ce qui l’initie à la planification. Réciter une comptine qui se termine par une grande finale (« gros galop, gros galop, gros galop ! ») conduit l’enfant à inhiber son impulsion de passer immédiatement à la conclusion qui le stimule au plus haut point.
Le jeu symbolique est particulièrement adapté à l’exploration des émotions, puisque les enfants rejouent des situations vécues et imitent des comportements, à travers les scénarios de plus en plus complexes qu’ils inventent.
Le domaine social et affectif mérite aussi d’être abordé à travers des expériences qui font appel à l’expression et à la créativité. Les activités de dessin mettent en lumière les goûts des enfants, ce qui contribue à la construction de leur identité. L’évolution de l’enfant dans ce domaine est d’ailleurs facilement repérable et propice aux échanges sur ses apprentissages : l’enfant utilise maintenant une variété de couleurs plutôt qu’une seule, remplit les formes dont il trace les contours, trace des droites, des courbes et des zigzags, etc. Le dessin peut d’ailleurs permettre à l’enfant d’exprimer spontanément certaines émotions : « Voudrais-tu dessiner ta grosse colère ? Quelles couleurs choisiras-tu pour le faire ? » Il peut participer ainsi à leur autorégulation.
Le collage réalisé par l’enfant à partir de revues lui donne accès à la représentation figurative et lui permet d’exprimer ses goûts et ses champs d’intérêt. Les lectures interactives constituent de bonnes occasions de discuter des émotions avec les jeunes enfants, tout comme la création d’histoires. La danse et la musique sont par ailleurs des moyens particulièrement appropriés pour qu’ils expriment leurs émotions.
7- Les influences du développement social et affectif sur les autres domaines
Le développement social et affectif influence :
Le développement physique et moteur, car il aide l’enfant à prendre des risques calculés, à chercher de l’aide lorsque nécessaire et à développer des attitudes appropriées avec ses pairs, notamment avec ses partenaires de jeu.
Le développement cognitif, car il aide l’enfant à prendre en considération des points de vue différents, à reconnaître ses erreurs de raisonnement, à opter pour une meilleure solution que la sienne proposée par un autre enfant, à persévérer dans une tâche cognitive difficile, à ressentir de la confiance en ses capacités de trouver des solutions à ses problèmes.
Le développement langagier, car il aide l’enfant à s’exprimer verbalement sans peur du ridicule et le conduit à mettre des mots sur ses émotions et celles qu’il repère chez les autres. Lorsqu’il interagit avec ses pairs, l’enfant a beaucoup d’occasions de parler, de négocier, d’apprendre de nouveaux mots et de les employer.